Mammuth (1h32)
Serge Pilardosse vient d’avoir 60 ans. Il travaille depuis l’âge de 16 ans, jamais au chômage, jamais malade. Mais l’heure de la retraite a sonné, et c’est la désillusion : il lui manque des points, certains employeurs ayant oublié de le déclarer ! Poussé par Catherine, sa femme, il enfourche sa vieille moto des années 70, une "Mammuth" qui lui vaut son surnom, et part à la recherche de ses bulletins de salaires. Durant son périple, il retrouve son passé et sa quête de documents administratifs devient bientôt accessoire...
Avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Miss Ming, Anna Mouglalis, Isabelle Adjani, Bouli Lanners...
Au bord de la route du progrès social
Serge Pilardos (Gérard Depardieu) vient de partir à la retraite, mais pour toucher ses allocations il doit retrouver les papiers attestant des petits boulots qu’il a effectués durant toute sa vie. Il enfourche sa moto, la « Mammuth » du titre (une Mûnch 1200, dinosaure allemand des années 70 qui s’accorde à merveille avec le physique de Depardieu), et repart sur les traces de son passé, chaque rencontre étant une occasion pour lui de poser un regard sur son passé, sur ce qu’il a fait de sa vie.
Le road movie est un genre où les déplacements géographiques des personnages ne font que masquer des itinéraires toujours intérieurs. « Mammuth » ne faillit pas à la règle et les différentes étapes du parcours de Serge sont pour lui autant d’occasions de reconstruire une vie éclatée en morceaux par la société capitaliste moderne. Si les papiers qu’il doit rassembler ne sont qu’un prétexte narratif - l’enjeu du film étant bien entendu ailleurs - cette idée très simple en dit cependant beaucoup sur cette société qui découpe les hommes en tranches, comme ces morceaux de barbaque que Serge a débités dix années durant à l’abattoir.
Si « Mammuth » repose sur une idée excellente, Delépine et Kervern semblent un peu moins à l’aise qu’à l’accoutumée dans le registre tragico-absurde qu’ils maîtrisaient de main de maître dans leurs précédentes réalisations. Le film démarre sur les chapeaux de roues avec une succession de scènes hilarantes, les auteurs portant sur leurs contemporains ce regard fait de cruauté, de pitié, de désappointement et de compassion qui ne tient qu’à eux. Puis le film glisse peu à peu de l’ironie vers la mélancolie et la poésie ; et si les deux cinéastes parviennent par moments à réellement nous émouvoir ou nous surprendre, ils ne réussissent pas totalement à nous convaincre dans ce nouveau registre. La faute en partie à une construction narrative une peu trop figée et aux cameos de potes et de stars (Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde, Ana Mouglalis, Isabelle Adjani, Siné, Bluth, Philippe Nahon, Dick Annegarn...) qui ponctuent le film. Ce qui fonctionnait parfaitement dans une farce comme « Louise-Michel » devient ici un handicap, le film se voulant plus intime et cette intimité se heurtant à cet incessant défilés de gueules. D’autre part, si les deux cinéastes savent toujours jouer brillamment des ellipses, de la profondeur de l’image ou du hors-champ, ils se laissent par contre quelque peu aller à des facilités visuelles, comme un grain de l’image omniprésent, des passages 35mm / 8mm ou encore une colorimétrie délavée… des afféteries de mise en scène qui desservent la force poétique brute du film.
Ces réserves posées, Delépine et Kervern réussissent de très belles choses dans ce quatrième long métrage, rendant certaines rencontres particulièrement touchantes, notamment lorsqu’elles donnent la parole à toute une frange de la population abandonnée au bord de la route du progrès social ou réduite à la marge. Ils savent toujours aussi bien filmer les tronches et les corps fatigués, capter le naturel et l’humanité qui se dégage des non professionnels ou redonner des étincelles de vérité et de la vie à des acteurs depuis trop longtemps englués par leur image. On pense naturellement à Depardieu, magnifique roc abimé qui livre ici l’une des ses plus mémorables prestations, jouant magistralement sur la fatigue de son corps et marchant dans les traces du Mickey Rourke de « The Wrestler ». Delépine et Kervern multiplient d’ailleurs les allusions (inconscientes ?) au film d’Aronofsky : les longs cheveux bouclés, la façon dont l’acteur les secoue au sortir d’une baignade dans un lac, une altercation au rayon boucherie d’un supermarché (scène inversée, Serge étant cette fois-ci de l’autre côté du comptoir) ou encore la djellaba qu’il revêt et qui rappelle la tunique du catcheur avant d’entrer en scène. Gérard Depardieu parvient en un seul plan à raconter Serge, géant devenu petit à force de compromis et d’abandon devant une société carnassière et étouffante.
L’autre magnifique surprise de « Mammuth » c’est Miss Ming, artiste autiste sauvée par sa rencontre avec l’univers Groland, éclat de vie qui emporte le film vers des sommets d’intensité, d’amour et de poésie. Malgré ses quelques faiblesses, « Mammuth » emporte largement l’adhésion et l’on espère que Delépine et Kervern continueront longtemps à nous régaler de ces œuvres vachardes et tendres qui sont autant de courants d’air frais dans le paysage du cinéma français contemporain.
Olivier Bitoun (DVD Classik)
Revue de presse
Télérama : "L’humour noir, fêlé, de Delépine et Kervern s’épanouit à coups de plans graphiques comme les planches d’une BD. À leur manière hyperréaliste, les deux cinéastes « grolandais » célèbrent le retour du refoulé dans un monde nettoyé par le vide, quadrillé par les procédures, corseté par les normes, obsédé par la rentabilité. Que faire quand on ne sert plus, quand on ne cadre pas ? Que faire du temps qu’il reste ?"
Le Monde : "Une émouvante méditation mélancolique sur le temps qui passe, sur la dépossession du monde, sur le cinéma comme enregistrement poétique de la mort au-travail."
La Croix : "Benoît Delépine et Gustave Kervern signent un grand film (...) Gérard Depardieu interprète admirablement la mélancolie de son personnage, avec une impressionnante justesse de jeu."
Les Inrocks : "Dans Mammuth, la simplicité du pitch, des personnages, l’ajustement de la mise en scène concourent à faire monter une incrédulité de fond et un comique sans appel."
FICHE TECHNIQUE
Réalisation et scénario : Benoît Delépine et Gustave Kervern
Directeur de la photographie : Hugues Poulain
Montage : Stéphane Elmadjian
Mixage : Fabien Devillers
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