Red earth

Il est dans l’Océan Indien une petite île où s’abattent violemment et sans complexes les effets de la mondialisation libérale. Nous sommes à l’Île Maurice où des chantiers pharaoniques défigurent le paysage et modifient sans aucune concertation la vie des habitants. Au centre de l’île, "la maison rouge" et ses activités commerciales sont menacées par les bulldozers du Métro Express. Plus loin, c’est la construction d’une Smart-City qui bouleverse la vie d’un quartier. Affectés par toutes ces violences, les habitants témoignent.

Depuis le début du nouveau siècle, la canne à sucre ne rapporte plus, l’immobilier est le nouvel eldorado de Maurice, en particulier pour l’Inde et la Chine qui investissent pour faire de l’île leur plateforme économique, financière et stratégique vers l’Afrique continentale. Maurice, qui ne doit son existence qu’à sa qualité de plateforme de commerce depuis cinq-cents ans, devient le précipité de la nouvelle mondialisation dont elle est en quelque sorte le cobaye, promise par le gouvernement à devenir « le nouveau Singapour » ou « le nouveau Dubaï ».

Au centre de l’île Maurice, un projet gigantesque attire tous les regards et symbolise l’ère qui s’ouvre : la création à marche forcée du « Métro Express », en fait un tramway financé par l’Inde via un accord secret et qui balafre toutes les zones urbaines du pays. Mais il n’est pas le seul. En prenant un peu de hauteur, la vision est encore plus dramatique : sur ces 1800 kms² au milieu de l’océan Indien, 16 Smart-Cities sont en train de sortir de terre. Ce sont des villes hors sol, construites à partir de rien, réservées aux expatriés et à quelques mauriciens aisés. Leur devise est « Live, work and play », autrement dit vivre sans avoir besoin de sortir de son enclos. 

Ces villes nouvelles, dont les promoteurs sont les anciens sucriers, sont construites au milieu de ce que furent les champs de canne, les terres les plus fertiles de l’île maintenant à jamais stérilisées par les tonnes de béton qui y sont déversées. Et au milieu de ce grand chambardement, les mauriciens n’ont d’autre option que d’accepter. Sans consultation citoyenne, alors que tous les gardes fous ont été levés pour « intérêt supérieur de l'État », ces projets, qu’ils soient d’initiative privée ou publique, traduisent une certaine idée de la société moderne : celle où l’élément humain doit s’effacer devant l’absolu nécessité du développement économique. Celle aussi d’une nouvelle peur qui se diffuse petit à petit dans la population et dont le révélateur sont les 5000 caméras de surveillance installées partout sur l’île, à chaque coin de rue. A chaque coin de rue également son panneau publicitaire vantant ici un nouveau mode de vie dans une ville nouvelle, là une modernité à portée de tous grâce au tramway. 

Mais au-delà du rêve de carte postale, la communication publique disponible reste rare et volontairement floue. Comme ces deux images montrant l’une l’implantation des projets de Smart-Cities sur l’île Maurice, et l’autre le trajet du Métro Express qui traverse l’île d’Ouest en en Est, impactant tout le tissu urbain. Si on les superpose, l’île Maurice n’est plus qu’un vaste chantier, si loin des images paradisiaques que les publicitaires et les agences de tourisme vantent encore en dépit de cette réalité.